EXCEPTION D’ILLÉGALITÉ D’UN ACTE ADMINISTRATIF : UN MOYEN DE DROIT DE PLUS EN PLUS ENCADRÉ.
- LUNDI 11 MARS 2019 - ARTICLE EXPERT
Le moyen tiré de l’exception d’illégalité d’un acte administratif est régulièrement soulevé devant les prétoires des juridictions administratives. Ce moyen permet d’exciper de l’illégalité d’une décision administrative devenue définitive (c’est-à-dire insusceptible de faire l’objet d’un recours contentieux), pour obtenir l’annulation d’une autre décision qui en découle.
Traditionnellement, les conditions de recevabilité de l’exception d’illégalité étaient plutôt souples, les juridictions administratives favorisant globalement le principe de légalité des actes administratifs au principe de sécurité juridique. Pourtant, la jurisprudence traditionnelle a évolué dans le sens d’un durcissement constant des conditions de recevabilité du moyen tiré de l’exception d’illégalité d’une décision non réglementaire (I) ou réglementaire (II).
I) Les conditions de recevabilité du moyen tiré de l’exception d’illégalité d’une décision non réglementaire.
A) Le principe.
Afin de préserver la sécurité juridique des actes non réglementaires, l’exception d’illégalité d’un acte individuel est inopérante lorsque la mesure individuelle dont il est fait exception a elle-même acquis un caractère définitif (CE, 25 juillet 1980, « Ministre de l’Environnement et du Cadre de vie c. Société centrale d’affichage et de publicité », n°20100).
B) Le durcissement récent du principe.
A contrario du principe sus-évoqué, la jurisprudence administrative autorisait les justiciables à contester la légalité d’une décision administrative les concernant en se prévalant par la voie de l’exception de l’illégalité d’une décision administrative individuelle non définitive faute de notification régulière ou d’indication des voies et délais de recours (CE, 17 décembre 1997, « Préfet de l’Isère c. A », n° 171201).
Pourtant, le Conseil d’État est récemment venu durcir sa position en étendant sa récente mais néanmoins célèbre jurisprudence « Czabaj » qui prévoit que même en l’absence d’indication des voies et délais de recours, une décision individuelle notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance, ne saurait être remise en cause au-delà d’un délai raisonnable qui, en général, ne peut excéder un an (CE, 13 juillet 2016, n° 387763).
Par extension, le Conseil d’État juge désormais qu’un requérant ne peut se prévaloir du moyen tiré de l’exception d’illégalité d’une décision individuelle ne comportant pas les mentions relatives aux voies et délais de recours au-delà d’un délai raisonnable qui sauf circonstances particulières ne saurait excéder un an (CE, 27 février 2019, n° 418950).
C) Les exceptions au principe.
Par dérogation au principe susmentionné, le Conseil d’État autorise dans deux circonstances les justiciables à se prévaloir par la voie de l’exception d’une décision administrative individuelle pourtant définitive.
La première exception concerne l’exception d’illégalité d’une mesure individuelle pourtant définitive dans le cadre d’une opération dite « complexe », c’est-à-dire lorsque la « décision finale ne peut être prise qu’après l’intervention d’une ou de plusieurs décisions successives, spécialement prévues pour permettre la réalisation de l’opération dont la décision finale sera l’aboutissement » [1]. Cette théorie trouve particulièrement à s’appliquer dans le contentieux du recrutement de la fonction publique (CE, 7 juillet 1976, Sieur Sebillote, n°s 94469, 95180) ou dans le contentieux de la phase administrative de l’expropriation (CE, 20 novembre 1974, « Dame Manrot Le Goarnic », n° 89980).
Les membres du Palais Royal jugent également, de longue date et de manière constante, que l’illégalité fautive d’une décision individuelle définitive peut toujours être invoquée de manière incidente dans le cadre d’un recours indemnitaire (CE, 31 mars 1911, Blanc, Argaing, Bézie, p.407 CE 3 mai 1963 « Alaux », n° 54724 ; CE, Section, 3 décembre 1952, « Sieur Dubois », p. 555).
Étant précisé que cette exception ne concerne pas les décisions administratives individuelles à objet exclusivement pécuniaires (CE, 8 novembre 2000, Commune de Faa’a, n° 194039). Cette dernière décision fait échos à une jurisprudence plus ancienne qui déclare irrecevables les recours de plein contentieux mettant en cause la responsabilité de l’État en raison d’une décision pécuniaire illégale dès lors que le même résultat aurait pu être recherché en sollicitant directement l’annulation de cette décision pécuniaire dans le délai de recours contentieux (CE, 2 mai 1959, Ministre des finances c/ Sieur Lafon, n° 44419).
II) Les conditions de recevabilité du moyen tiré de l’exception d’illégalité d’un acte administratif réglementaire.
A) Le principe.
Si le moyen tiré de l’exception d’illégalité d’un acte administratif individuel n’est opérant que tant que la mesure individuelle dont il est fait exception n’est pas définitive, l’exception d’illégalité d’un acte règlementaire peut être exercé, en principe, sans condition de délai (CE, 29 mai 1908, Poulin, n° 25488).
De la même manière il est également possible, en dehors de toute condition de délai, de solliciter l’annulation d’une décision portant refus d’abrogation d’un règlement administratif en se prévalant de son illégalité (CE, 3 février 1989, Compagnie Alitalia, n° 74052).
Cette solution se justifie dès lors que la « découverte », par la voie de l’exception, de l’illégalité d’un acte règlementaire n’a pas d’incidence sur son maintien dans l’ordonnancement juridique. En effet, la constatation par la voie incidente de l’illégalité d’un acte règlementaire ne conduit pas à son annulation mais seulement à celle de l’acte individuel pris sur son fondement. Ainsi, le juge administratif opère un équilibre entre les principes de légalité et de sécurité juridique.
Pourtant, le Conseil d’État est récemment venir assouplir ce principe, quitte à perturber cet équilibre.
B) L’assouplissement récent du principe.
Le Conseil d’État est récemment venu aménager le principe sus-évoqué qui autorise un requérant à se prévaloir sans condition de délai de l’illégalité d’un acte réglementaire par la voie de l’exception.
En effet, la plus haute juridiction administrative juge désormais que les vices de forme et de procédure ne sont plus opérants lors de la contestation d’un acte règlementaire par voie d’exception ou lors du recours contre le refus d’abroger un tel acte (CE, Fédération des finances et des affaires économiques de la CFDT, 18 mai 2018, n° 414583).
En définitive, l’exception d’illégalité est un moyen de droit dont la recevabilité est de plus en plus encadrée en raison de la jurisprudence récente du Conseil d’État destinée à davantage garantir le principe de sécurité juridique. Quoique louable, ce principe protège toutefois bien souvent l’administration aux dépens des administrés, lesquels peuvent se voir appliquer sans contestation possible des actes administratifs définitifs pourtant illégaux.
Notes :
[1] Chapus, « Droit du Contentieux Administratif », § 781, 13 édition