top of page

Comment contester un refus de visa de long séjour « étudiant » ?

(Article mis en ligne le 29 janvier 2025)

 

« S'ils sont de bonne humeur, ils te donnent le visa, sinon, ils te le refusent »[1]. Si cette citation de l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie peut sembler caricaturale, il est pourtant des cas où les motifs d’une décision de refus de visa peuvent sembler bien discutables pour ne pas dire arbitraires.

Il faut dire qu’en matière de visa de long séjour – dont font partis les visas étudiants pour un séjour de plus de trois mois – les textes sont particulièrement peu prolixes et laissent par conséquent une marge d’appréciation importante à l’administration qui peut statuer sur des motifs aussi abscons que l’ordre public ou l’intérêt général (CE, 28 janvier 1986, n°s 41550, 46278, Aux Tables).

 

I./ Les textes applicables et les motifs de refus de visa de long séjour « étudiant »

 

Ainsi, l’article L. 312-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ci-après « CESEDA ») se borne-t-il à prévoir que : « Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour dont la durée de validité ne peut être supérieure à un an. Ce visa peut autoriser un séjour de plus de trois mois (…) en qualité (…) d’étudiant (…) ».

 

L’article L. 311-1, 2° du CESEDA ajoute encore, en substance, que pour entrer en France les étrangers doivent justifier de l’objet et des conditions de leur séjour et, s’il y a lieu, de leurs moyens d’existence. Les articles R. 313-1 à R. 313-5 du même code dresse la liste des documents justificatifs permettant à l’étranger concerné d’établir, notamment, l’objet et les conditions de son séjour en France.

 

L’article L. 311-2 du CESEDA estime également, à grands traits, qu’un étranger constituant une menace à l’ordre public ou interdit sur le territoire français ne satisfait pas aux conditions d'entrée sur le territoire français.

 

Toutefois, si les visas de longs séjours sont en principes régis par le droit national, la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016[2] fixe désormais des conditions d’admission des ressortissants de pays tiers à des fins d'études. Cette directive est transposée et complétée en droit interne par l'instruction ministérielle du 4 juillet 2019 relative aux demandes de visas de long séjour pour études en vertu du pouvoir règlementaire dont dispose le ministre de l’intérieur[3].

 

L’article 7 de la directive (UE) 2016/801 impose ainsi à l’étranger qui sollicite un visa à des fins d’études de rapporter la preuve de l’existence de ressources suffisantes pour couvrir ses frais de subsistance durant son séjour ainsi que ses frais de retour.

 

L’article 11 de cette même directive précise que les étudiants doivent également apporter la preuve :

  • de son admission dans un établissement d'enseignement supérieur ;

  • du paiement des droits d’inscription ;

  • d’une connaissance suffisante de la langue d’étude ;

  • de ressources suffisantes pour couvrir les frais d’étude.

 

Outre le respect des conditions susmentionnées, le f) de l’article 20 ajoute que l’administration rejette une demande de visa lorsqu’il existe des « preuves ou des motifs sérieux et objectifs pour établir que le ressortissant de pays tiers séjournerait à d'autres fins que celles pour lesquelles il demande son admission ».

 

Etant précisé que ce motif de refus de visa ne se confond pas avec le motif lié au risque de détournement du visa à des fins migratoires souvent invoqué lors de refus de visa de court séjour.  Et pour cause, le visa de long séjour a pour principe de permettre une installation durable sur le territoire français et ne saurait dès lors être détourné pour ce motif (CE, 4 février 2021 n° 434302, aux tables). Il n’en reste pas moins que l’administration vérifie que la demande de visa correspond à la finalité réelle du séjour de l’étranger en France.

 

Il ressort d’une analyse de jurisprudences d’espèce qu’un étranger - pour démontrer que le visa d’études n’a pas été sollicité à d’autres fins que le projet d’études en France - doit établir le caractère sérieux et la cohérence de son parcours (voir notamment : TA Nantes, 16 juin 2023, n° 2211400 ; TA de Nantes, 7 novembre 2022, n° 2208305).

Pour atteindre ce but l’étranger peut notamment :

  • Se prévaloir, le cas échéant, de l’avis favorable rendu par le service de coopération et d’action culturelle chargé d’analyser le parcours, les diplômes et le projet d’études ;

  • Invoquer l’absence de formations équivalentes dans le pays d’origine ;

  • Invoquer la valeur ajoutée de la formation existant en France ou son caractère plus adapté au projet professionnel envisagé ;

  • Démontrer la sélectivité de la formation choisie en France et son implication pour être sélectionné (en particulier lorsqu’il existe un concours d’entrée ou un dossier d’admission rigoureux) ;

  • Le cas échéant, produire une attestation de soutien établie par le responsable de la formation ou émanent d’autres universitaires pouvant témoigner du sérieux du projet envisagé. 

 

Contrairement à ce que préconisait Madame la Rapporteure Publique ROUSSEL, qui militait pour un contrôle entier sur tous les motifs de refus d’un visa de long séjour pour études, le Conseil d’Etat a opté pour un contrôle du juge administratif limité à l’erreur manifeste d’appréciation (SSR 2/7 Avis CE, 24 février 2022, n° 457798).

 

Ainsi et au total, les autorités consulaires retiennent aujourd’hui sept principaux motifs pour refuser de faire droit à une demande de visa de long séjour « étudiant » :

 

  • 1 - Le document de voyage présenté est faux/falsifié

  • 2 - Vous n’avez pas fourni la preuve que vous disposez de ressources suffisantes pour couvrir les frais de toute nature, durant le séjour en France, ou vous n’êtes pas en mesure d’acquérir légalement ces moyens

  • 3 - Vous n’avez pas justifié de votre admission dans un établissement d’enseignement supérieur ou dans un organisme de formation professionnelle pour y suivre un cycle d’études

  • 4 - Vous n’avez pas présenté d’éléments suffisants permettant à l’autorité consulaire de s’assurer que votre séjour en France à des fins d’études ne présenterait pas un caractère abusif

  • 5 - Les informations communiquées pour justifier les conditions de séjour sont incomplètes et/ou ne sont pas fiables

  • 6 - Vous faites l’objet d’une mesure vous interdisant le retour sur le territoire français

  • 7 - Vous présentez un risque de menace pour l’ordre public/la sécurité publique/la santé publique

Le plus souvent, l’autorité consulaire s’appuie sur les motifs 2, 3 et 5 pour refuser de délivrer un visa de long séjour « étudiant ». L’étranger concerné par un tel refus dispose néanmoins de diverses voies de droit pour contester une telle décision.

 

II./ La procédure de contestation d’une décision de refus de visa

 

En la matière, la contestation d’un visa de long séjour « étudiant » ne souffre d’aucune particularité par rapport aux autres visas de long séjour.

 

  1. La saisine de la CRRV

 

Ainsi, outre les traditionnels recours gracieux et hiérarchiques susceptibles d’être adressés à l’autorité consulaire et au ministère de l’Intérieur, l’étranger est tenu de saisir la commission de recours contre les refus de visa[4] (ci-après « CCRV ») dans un délai de trente jours (article D. 312-4 du CESEDA).

 

Ce recours doit être motivé et rédigé en langue française par la personne qui fait l’objet de la décision de refus de visa, par un mandataire dûment habilité ou par une personne établissant avoir un intérêt direct et certain à la contester (R. 312-8 du CESEDA). Il est également prudent de signer le recours et d’y joindre une copie de la décision de refus de visa contestée. Afin de conserver la preuve de la saisine de la CRRV dans le délai impératif de 30 jours il est en outre très recommandé d’adresser le recours administratif par lettre recommandée avec accusé de réception.

 

Une fois réceptionné, la commission peut soit rejeter le recours, soit recommander au ministre des affaires étrangères et au ministre de l'intérieur d'accorder le visa de long séjour sollicité (D. 312-5-1 du CESEDA). Toutefois, le plus souvent, la CRRV ne délivre aucune réponse expresse. C’est pourquoi le CESEDA prévoit qu’en l’absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision consulaire (D. 312-8-1 du CESEDA).

 

     2. La saisine du Tribunal administratif

Si la CRRV confirme – explicitement ou implicitement – le refus de visa de long séjour édicté par l’autorité consulaire, l’étudiant concerné dispose d’un délai de deux mois francs pour saisir le Tribunal administratif. Par exception au principe général, ce délai de deux mois n’est pas prorogé, même lorsque le justiciable réside à l’étranger (R. 312-6 du CESEDA).

Encore faut-il noter que le Tribunal administratif de Nantes est toujours compétent en matière de visa (alinéa 1 de l’article R. 312-18 du Code de justice administrative).

 

La saisine du Tribunal se fait via une requête en excès de pouvoir par laquelle le justiciable sollicite l’annulation de la décision de refus de visa de la CRRV – qui se substitue à la décision consulaire –  et à ce qu’il soit enjoint au ministère de l’intérieur de délivrer le visa « étudiant » sollicité. Pour ce faire, le recours doit être motivé par des moyens de légalité externe (incompétence, vice de procédure, vice de forme…) et/ou internes (erreur de droit, erreur de fait, défaut d’examen sérieux…) en contestant le bien fondé des motifs fondant la décision de refus de visa litigieuse.

 

Par ailleurs, au regard des délais de jugement d’une requête en excès de pouvoir (le délai moyen de jugement du Tribunal administratif de Nantes était de 15 mois et 5 jours en 2021) il est bien souvent nécessaire d’assortir le recours pour excès de pouvoir d’une requête en référé suspension[5] pour que l’étudiant ait une chance d’obtenir son visa avant le début de la rentrée universitaire. Cette procédure d’urgence permet en principe d’obtenir l’enrôlement de l’affaire dans un délai de 3 semaines suivant l’enregistrement de la requête.

 

Pour que cette procédure ait une chance d’aboutir, il est toutefois nécessaire d’établir l’existence d’une situation d’urgence ainsi que l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité du refus de visa. Or l’inflation du nombre de recours contre les refus de visa s’est accompagnée d’un durcissement significatif de l’appréciation par le Juge des référés du respect de la condition liée à l’urgence.

 

Ainsi, si la seule invocation de la proximité de la rentrée scolaire a pu permettre, par le passé, à regarder la condition tenant à l’urgence comme remplie (par exemple : TA Nantes, 19 juillet 2011, n° 1105941 ; TA Nantes, 13 novembre 2017, n° 1709444 ; TA Nantes, 29 août 2022, n° 2210656), cette seule circonstance paraît désormais la plupart du temps insuffisante pour emporter la conviction du juge (TA Nantes, 23 novembre 2023, n° 2317133 ; TA Nantes, 22 octobre 2024, n° 241619 ; TA Nantes, 24 juillet 2024, n° 2409086).

 

De manière topique, la juridiction nantaise a notamment pu juger, pour regarder la condition tenant à l’urgence comme non remplie, que l’octroi d’un visa « ne constitue pas un droit, l’étudiant engageant des frais à ses risques et périls avant sa délivrance, et qu’il n’est pas allégué que la requérante ne pourrait pas poursuivre ses études dans son pays d’origine ou bénéficier d’un report d’inscription à l’année académique suivante » (TA Nantes, 22 octobre 2024, n° 241619).

 

Dès lors, outre l’imminence de la rentrée scolaire, il semble désormais nécessaire de rapporter la preuve de l’impossibilité de poursuivre ses études dans son pays d’origine ou de bénéficier d’un report d’inscription académique à l’année suivante. Cette tendance jurisprudentielle – que d’aucuns dénonceront comme excessivement rigoureuse – réduit considérablement les chances de succès d’un référé suspension dirigé contre un refus de visa étudiant.  

 

Pour être exhaustif, il faut encore rappeler qu’un justiciable peut également décider de contester directement une décision de refus de visa consulaire sans attendre la réponse de la CRRV en saisissant le Tribunal administratif d’un référé suspension. Le requérant devra néanmoins justifier de la saisine préalable de la CRRV sous peine d’irrecevabilité de sa requête en référé (CE, 12 octobre 2001, Société Produits Roche, n°237376 ; CE, 16 décembre 2009, Société d’architecture groupe 6, n° 326220). Par ailleurs, l’appréciation de la condition liée à l’urgence sera appréciée par le juge des référés de manière encore plus rigoureuse que lorsque le recours est dirigé contre la décision de la CRRV.

 

Dans ce contexte, il est recommandé aux étrangers de solliciter leur visa de long séjour « étudiant » bien avant le début de la rentrée universitaire afin de disposer du temps nécessaire à la contestation d’un éventuel refus de visa devant la juridiction administrative.

 

Ces précisions portées, il n’est pas inutile de rappeler que l’administration engage sa responsabilité lorsqu’elle refuse à tort de délivrer un visa. L’étranger dont la demande de visa a été illégalement refusée pourra alors solliciter l’indemnisation financière des préjudices qui en ont résulté : https://www.philipponavocat.com/publication-12

 

[1] L'hibiscus pourpre (2003) de Chimamanda Ngozi Adichie

[2] relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, de formation, de volontariat et de programmes d'échange d'élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair, l’admission d’un ressortissant d’un pays tiers à des fins d'études

[3] voir décret n° 2008-1176 du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de mission diplomatique et des chefs de poste consulaire en matière de visas

[4] Commission de recours contre les Décisions de refus de visa d’entrée en France BP 83609, 44036 NANTES, Cedex 01 ; Fax : 02 51 77 20 94

[5] sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative

© 2023 par Martin et associés. Créé avec Wix.com

  • LinkedIn Social Icon
  • Twitter Social Icon
  • Google+ Social Icon
bottom of page