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FONCTIONNAIRES : COMMENT CONTESTER UNE MESURE DE SUSPENSION ?

- VENDREDI 14 FÉVRIER 2020
 

Au cours de leur carrière, les fonctionnaires peuvent se retrouver confrontés à une mesure de suspension de leurs fonctions. Ce mécanisme, souvent méconnu et parfois lourd de conséquences, mérite l’analyse.

L’Article 30 de la Loi dite « loi Le Pors » autorise l’administration à suspendre de ses fonctions un fonctionnaire soupçonné d’avoir commis une faute grave, « qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun [1]. »

La suspension de fonctions est une mesure conservatoire prise dans l’intérêt du service. Elle ne constitue pas une sanction disciplinaire et ne préjuge pas de la décision du conseil de discipline. C’est d’ailleurs pourquoi l’article 30 susmentionné prévoit que le fonctionnaire suspendu conserve « son traitement, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires ». Ainsi, à l’exception des indemnités liées à l’exercice effectif des fonctions, l’agent suspendu, réputé en activité, perçoit toujours l’essentiel de sa rémunération. Plus encore, le fonctionnaire suspendu n’est plus soumis aux règles relatives à l’interdiction du cumul de fonctions ce qui l’autorise, en théorie, à rechercher une activité privée rémunérée pendant le temps de sa suspension [2].

Ces règles plutôt favorables aux fonctionnaires sont toutefois largement contrebalancées par une procédure souple qui confère de larges pouvoirs à l’administration. Ainsi, l’autorité de poursuite peut décider de suspendre un fonctionnaire sans recueillir préalablement ses observations, c’est-à-dire sans respecter le principe du contradictoire [3]. Dans la même veine, une mesure de suspension n’a pas à être précédée de la communication au fonctionnaire concerné de son dossier administratif [4]. Au-delà, s’agissant d’une mesure conservatoire, une décision de suspension n’a pas à être motivée [5].

Ce manque de transparence peut parfois conduire l’agent à s’interroger sur les raisons de sa suspension de fonctions, alors vécue comme une véritable sanction disciplinaire. Bien sûr, le fonctionnaire disposera par la suite de la possibilité de consulter son dossier administratif pour préparer sa défense devant le conseil de discipline qui se prononce, sauf poursuites pénales, dans les quatre mois suivant la mesure de suspension.

 

Toutefois, ce délai de quatre mois n’est pas prescrit à peine de nullité de l’action disciplinaire. Ainsi, si une saisine tardive du conseil de discipline est susceptible d’engager la responsabilité de l’autorité de poursuite [6] elle n’aura aucune incidence sur la régularité de la procédure laissant de fait le fonctionnaire concerné relativement démuni [7].

Si les mesures de suspension de fonctions ne répondent pas à un formalisme très exigeant, le pouvoir de l’administration n’est toutefois pas discrétionnaire. Dans ce contexte, un fonctionnaire bénéficie d’une marge de manœuvre, quoique limitée, pour contester une mesure de suspension dont il ferait l’objet.

Ainsi, et conformément à la lettre de l’article de l’article 30 de la Loi dite « loi Le Pors », une mesure de suspension ne peut intervenir que si les faits reprochés au fonctionnaire présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité [8]. Le non-respect de cette double condition entraine irrémédiablement l’annulation de la décision de suspension, le juge administratif opérant sur ce point un contrôle normal de la qualification juridique des faits [9].

S’agissant d’un recours pour excès de pouvoir, la gravité et la vraisemblance des faits sont appréciées au regard des éléments de faits connus par l’administration à la date de l’édiction de la décision de suspension [10].

L’autorité administrative n’en reste pas moins tenue d’abroger une telle décision lorsque les faits reprochés au fonctionnaire se révèlent finalement peu crédibles au regard, notamment, des éléments nouveaux qui lui sont communiqués [11]. Étant précisé que la gravité des faits s’apprécie en tenant compte des fonctions exercées par le fonctionnaire, de son positionnement hiérarchique et des responsabilités qu’il exerce [12].

Enfin, un fonctionnaire peut également rechercher l’annulation d’une mesure de suspension s’il arrive à établir l’existence d’un détournement de procédure. Il en va ainsi lorsque la mesure de suspension constitue une mesure vexatoire non justifiée par l’intérêt du service et révèle de fait l’existence d’une sanction disciplinaire déguisée.

Le recours contre une décision de suspension n’est donc pas toujours vain. D’autant plus qu’outre l’annulation de la mesure, un fonctionnaire illégalement suspendu pourra également bénéficier, s’il en justifie, de l’indemnisation de son préjudice moral [13].

 

Notes :

[1] Article 30 de la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

[2] CE, 46 juillet 1966, Fédération de l’Éducation nationale et autres, n° 52641.

[3] CE, 18 juillet 2018, n° 418844 ; CE, 31 mars 1989, n° 64592.

[4] CE, 22 septembre 1993, n°s 87033, 87456.

[5] CE, 7 novembre 1986, Edwige, n° 59373.

[6] CE, 8 juin 2017, n° 390424.

[7] CE, 12 février 1988, n° 72309, aux Tables.

[8] CE, 11 juin 1997, n° 142167.

[9] CE, 10 novembre 1999, Sako, n° 179962, aux Tables p. 986.

[10] Sur ce point et contrairement à la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’Etat (CE, 17 mars 1965, Cinelorrain, n° 62596.), les éléments de preuve établis postérieurement à la décision de suspension mais permettant d’établir un état de fait antérieur à celle-ci ne sont pas utilement invocables devant le juge de l’excès de pouvoir. Cette exception se justifie par le caractère conservatoire et donc provisoire des décisions de suspension de fonctions.

[11] CE, 18 juillet 2018, n° 418844.

[12] CE, 29 janvier 1988, Moine, n° 58152, p. 869.

[13] CE, 24 juin 1977, Dame Deleuse, n° 93480.

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