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LA MEDIATION POUR LES NULS : COMMENT CA MARCHE ?

Cette pastille aux traits humoristiques et hautement perfectible a vocation de permettre aux lecteurs non avertis de mieux comprendre le fonctionnement, le déroulement et les principales méthodes utilisées en médiation pour tenter de parvenir à une résolution amiable d’un sujet de discorde. Cette lecture doit également permettre de distinguer clairement les différences entre la médiation et d’autres formes de règlements amiables, telles que la conciliation et l’arbitrage, afin de permettre aux justiciables de choisir la méthode correspondant le mieux à leurs besoins.

Afin d’atteindre ces objectifs, je propose de suivre le déroulement (très abrégé) d’une médiation fictive relative à une situation de conflit connue de tous et suffisamment ancienne pour pouvoir l’évoquer avec recul et légèreté : la Guerre de Cent ans.

« Je ne regrette en mourant que de n'avoir pas chassé tout à fait les Anglais du royaume comme je l'avais espéré ; Dieu en a réservé la gloire à quelque autre qui en sera plus digne que moi » [[Bertrand DU GUESCLIN (1320-1380), son mot de la fin, le 13 juillet 1380.]]

I./ CONTEXTE ET PRÉSENTATION DES PROTAGONISTES

La France est entrée dans une crise de succession suite au décès du Roi Charles IV sans héritier mâle direct. Deux prétendants se disputent le trône : Philippe VI de Valois (en sa qualité de cousin de Charles IV) et Edouard III d’Angleterre (en sa qualité de petit-fils du roi Philippe IV le Bel).

Philippe VI est finalement couronné ce qu’accepte difficilement Edouard III. En effet, le monarque anglais détient de nombreux territoires en France (Gascogne, Guyenne…). Il est ainsi tenu – selon les règles de féodalité – de rendre hommage à Philippe VI en sa qualité de suzerain de France. Les français sont quant à eux alliés au Royaume d’Ecosse, en guerre avec l’Angleterre.

Par ailleurs, la France et l’Angleterre connaissent d’importantes rivalités territoriales et économiques, chaque pays tentant d’étendre son influence au détriment de l’autre.

Philippe VI et Edouard III sont tous les deux décrits comme de compétents chefs militaires, cherchant tous deux à étendre l’influence de leurs pays respectifs.

Philippe VI est le fils aîné de Charles de Valois, frère cadet du roi Philippe IV le Bel. Sa mère, Marguerite d’Anjou semble avoir exercé un rôle politique limité. 

Edouard III est également orphelin. En effet, Edouard II, a dû renoncer au trône après une rébellion menée par son épouse, Isabelle de France, fille de Philippe IV le Bel. Edouard II meurt l’année même de sa déposition (probablement assassiné). C’est ainsi qu’Edouard III succède à son père après avoir fait pendre Roger Mortimer, amant et allié de sa mère dans le complot visant à assurer la destitution d’Edouard II. En dépit de cette circonstance, Isabelle est connue pour avoir activement encouragé son fils à prétendre à la couronne de France.

 

 

II./ LA TENTATIVE DE RESOLUTION AMIABLE SANS MEDIATEUR

II.A/ LE SCENARIO

Edouard III conteste ouvertement la suzeraineté de Philippe VI et réclame le trône de France. Voici un compte-rendu « fidèle » de la discussion tout à fait fictive entre Edouard III et Philippe VI qui a précédé le déclenchement de la guerre dite « de cent ans ». 

 

Philippe VI : Cher Edouard, à la mort de Philippe IV les grands seigneurs français m’ont désigné Roi de France. L’affaire est réglée depuis longtemps, tes prétentions sur le Royaume de France sont ridicules. 

Edouard III : Cher Philippe, tu connais parfaitement la situation. Ma mère est la seule enfant en vie de Philippe IV.  J’aurais dû hériter du trône, ton règne n’est pas légitime.

Philippe VI : Je ne comprends pas ta position… En vertu de la Loi Salique la succession se transmet de primogéniture virile. Je suis le seul héritier possible du Royaume de France.

Edouard III :  Ta vision de la Loi Salique est dépassée. Le trône aurait dû me revenir directement en ma qualité de plus proche parent de Philippe IV ! 

Philippe VI : Je suis le neveu de Philippe IV et le petit-fils de Philippe III alors que ton lien de filiation avec la couronne de France n’est établi que par ta mère ! C’est bien moi le seul monarque.

Edouard III : Tu ne devrais pas aller sur ce terrain-là… Je suis le fils d’un roi, ta noblesse est inférieure à la mienne.

Philippe VI : Tu es le fils d’un roi destitué, tu n’as aucun droit sur le royaume de France.

Edouard III : Tu rejettes mes revendications sans même les considérer sérieusement ? Cela montre ton manque de respect envers ma position légitime. La guerre est inévitable si tu persistes dans cette attitude.

Philippe VI : Je n'ai aucune intention de céder à tes prétentions. Tes revendications sont injustifiées et représentent une menace pour la stabilité de mon royaume. Si tu choisis la voie de la guerre, je suis prêt à faire face.

Edouard III : Tu devrais y réfléchir plus amplement. Tu te dis Roi, mais tu réponds immédiatement aux sirènes de la guerre sans une minute de considération pour les milliers de vies qui seront perdues du fait de ton entêtement.

Philippe VI : Ton sang anglais ne te permettra jamais de comprendre mon attachement à la couronne de France. Si du sang coule, il ne sera dû qu’à l’aveuglement causé par ta propre ambition.

Edouard III : Il n’y a donc plus rien à discuter. C’est la guerre !

Philippe VI : « Le roi d’Angleterre n’a nul droit de contester mon héritage. J’en suis en possession et défendrai mon droit de tout mon pouvoir contre tout homme » [[PHILIPPE VI DE VALOIS (1293-1350), 24 mai 1337.]].

II. B/ L’ANALYSE :

Dans ce scénario, le cœur du sujet – la succession au royaume de France – est immédiatement abordé, sans aucune mise en perspective. Cette situation engendre une rapide montée en tension des acteurs. Le vocabulaire utilisé est très rapidement celui du conflit avec une défiance grandissante de chaque acteur.

Par ailleurs, une fois les arguments posés, les débats entrent dans une boucle de rétroaction c’est-à-dire une chaine causale infinie ou chaque acteur répète ses arguments pour imposer sa vision. Les acteurs restent arcboutés sur des positions immuables et intangibles. Philippe et Édouard se répondent immédiatement sans laisser à l’autre le temps d’exposer en détails le sujet. L’empathie entre les personnages est très limitée.

Par ailleurs, dans un système de communication, il existe nécessairement une organisation qui répond à des codes précis. Les frontières, le langage utilisé dépend nécessairement de l’interlocuteur.  Dans ce contexte, Philippe, répondant à une provocation, semble méconnaitre une règle implicite en évoquant le père destitué et probablement assassiné d’Edouard. Cette méconnaissance d’une règle implicite pourrait être le vecteur de l’escalade du conflit, avec une première référence à la guerre.

D’un point de vue extérieur le conflit semble inévitable, Philippe et Edouard étant chacun convaincus du bien fondé de leurs prétentions.

Ce « système » à deux n’étant pas stable - en tension - un second scénario va être envisagé avec l’implication d’un tiers : le médiateur.

 

 

 

III./ LA TENTATIVE DE RESOLUTION AMIABLE AVEC MEDIATEUR

La mission du médiateur est naturellement d’aider les acteurs à trouver une solution satisfaisante au sujet : la succession au royaume de France. Mais plus généralement, la fonction de cette triangulation est d’apaiser les tensions, aux termes d’un processus non immédiat. L’apaisement des débats doit in fine aboutir à la réalisation d’un réel échange permettant aux médiés de se « connecter », c’est à dire d’entrer en « empathie » l’un envers l’autre. Cette recherche d’apaisement à long terme des relations – plutôt que la recherche de résolution d’un conflit particulier – constitue la différence principielle entre la médiation et les autres formes de résolutions amiables des différends, comme la conciliation ou l’arbitrage. 

III.A/ PRINCIPES DE LA MEDIATION ET PIEGES A EVITER

1/ Le choix du médiateur :

Avant d’accepter une mission, le médiateur doit inévitablement se poser la question de sa compétence. Cette notion de compétence doit s’entendre largement. C’est-à-dire qu’outre la compétence technique « objective » que tout médiateur doit posséder, il convient également de s’intéresser à la compétence « subjective » du médiateur : « est-il le bon médiateur pour répondre à cette situation ? ».

Pour répondre à cette question le médiateur doit répondre à plusieurs interrogations :

  • Impartialité : « suis-je véritablement impartial vis-à-vis des médiés ? »

  • Conflit d’intérêt objectif : « suis-je indépendant vis-à-vis des deux médiés ? »

  • Conflit d’intérêt subjectif : « le sujet de la médiation entre-t-il en contradiction directe avec mes propres valeurs ? ». En cas de réponse positive il y a un risque de perte d’impartialité pour le médiateur »

  • Crédibilité : « suis-je le bon interlocuteur pour les médiés ? »

 

Dans notre mise en situation, la question de la crédibilité implique quelques développements.

Le médiateur est le garant du processus de la médiation. Il doit indiquer et faire respecter ce cadre méthodologique aux médiés. Dans cette mission, le médiateur adopte une relation complémentaire vis-à-vis de ses médiés. C’est-à-dire qu’il se pose en position de « sachant » vis-à-vis des médiés qui doivent accepter une position basse. Cette position sera certainement difficile à tenir concernant Philippe et Edouard, deux monarques habitués à des positions de pouvoirs. Dans ce contexte, un médiateur avec une forte légitimité, reconnue par les deux médiés, doit être privilégié. Au cas d’espèce, le Pape écho Benoît XII pourrait constituer un choix approprié.

2/ Le cadre de la médiation

Les questions susmentionnées relatives à l’impartialité et à la crédibilité du médiateur font également écho à la question du cadre de la médiation. S’agissant de monarques, le lieu de la médiation doit se tenir dans un cadre de prestige relativement neutre. Compte-tenu de sa proximité avec les deux royaumes, le château de Mont Orgueil, sur l’île de Jersey, pourrait convenir. Dans une situation plus réelle, le Cabinet du médiateur peut permettre d’assurer une neutralité plus importante que le bureau du Directeur dans le cas d’une médiation entre un salarié et la direction d’une entreprise.

3/ Le côté technique :

Le médiateur n’a pas vocation à exercer sa mission en qualité d’expert juriste ou géopolitique. Pour le médiateur, le piège à éviter est de rentrer dans les détails techniques du sujet. Ainsi, le médiateur n’a en principe pas à connaître les subtilités des règles de succession (primogéniture agnatique, cognatique etc.). Au contraire, si le médiateur dispose d’un avis juridique tranché sur la question en litige, cela risque de « corrompre » son impartialité. Ainsi, s’il est nécessaire de connaître le contexte général de la situation donnant lieu à médiation, il n’est nul besoin pour le médiateur - qui n’est ni juge ni conciliateur - de disposer de compétences techniques particulières.

Dans notre mise en situation, les monarques disposent tous les deux de juristes très compétents capables de les éclairer. La plus-value du médiateur ne peut donc se situer à ce niveau.

En effet, la médiation a davantage vocation à « soigner » dans la durée une relation conflictuelle qu’à résoudre une situation particulière à un instant déterminé. Dans cette optique, faire entrer les médiés en empathie par le rétablissement du dialogue importe davantage que de leur apporter une solution technique sur le sujet. C’est tout le rôle du médiateur.

4/ Neutralité :

Si la neutralité rejoint en partie la notion d’impartialité, ce principe connait également une acception différente : la neutralité dans le choix des solutions proposées. Ainsi, dans notre mise en situation, un travers du médiateur serait de chercher à éviter la guerre entre les deux royaumes. Les médiés peuvent très bien convenir que la guerre constitue le moyen le plus efficace de régler leur litige. Il n’y a pas de jugement moral à apporter sur la question. A titre d’exemple et de manière moins polémique, le rôle du médiateur n’est pas de prévenir un licenciement dans un conflit entre employeur et salarié si cette solution convient aux deux médiés. La désescalade émotionnelle du conflit n’implique pas nécessairement une désescalade dans le choix des mesures retenues pour atteindre cet objectif.

La neutralité suppose également une neutralité de ton et de posture afin de ne pas envenimer la situation en donnant un descriptif négatif d’une situation donnée. Pour y parvenir le médiateur utilise des outils tels que la reformulation positive et la synchronisation.

De manière générale, la médiation commence par des entretiens individuels, au cours desquels le médiateur rappelle à chaque protagoniste les principes susmentionnés de la médiation. Ces entretiens individuels permettent également de recueillir le récit des médiés et de mieux définir leurs attentes. Cela donne en outre l’occasion au médiateur de créer une relation de confiance avec ses clients et de libérer leur parole. Lorsque les médiés adhèrent aux principes de la médiation, une réunion commune organisée et encadrée par le médiateur peut débuter.  

 

 

III.B/ LE DEROULEMENT DE L’ENTRETIEN COMMUN DE MÉDIATION

L’entretien commun de médiation s’articule classiquement en deux phases :

  • Une phase de clarification au cours de laquelle chaque médié peut se présenter, exposer les sujets de la médiation tels qu’il les conçoit, et définir ses attentes. Le médiateur doit en principe veiller à ce chaque interlocuteur puisse s’exprimer librement, sans interruption.

  • Une phase de confrontation qui doit permettre aux médiés de renouer le dialogue. Le médiateur met en œuvre des techniques de communication pour que chaque médié parvienne à comprendre les sentiments et les besoins qui justifient la position de son interlocuteur sans pour autant chercher à éviter le conflit. Et pour cause, le conflit – encadré par un médiateur – est un outil cathartique qui permet de libérer les émotions pour mieux comprendre les sentiments et les besoins de chacun.

b1. Le scénario commenté de la phase de clarification

Médiateur : Philippe, Edouard, Bonjour. Je vous remercie de m’avoir choisi comme médiateur. Sans entrer dans les détails que je vous ai déjà exposés préalablement à cet entretien, je vous rappelle que la médiation constitue un processus volontaire de règlement amiable susceptible d’être interrompu à votre guise. Nos échanges seront naturellement confidentiels et je m’engage à rester aussi neutre et impartial que possible. La parole est libre mais je vous engage à demeurer courtois. Comme convenu, le château de Mont Orgueil est à notre disposition pour les deux prochaines heures.

Dans un premier temps, je vous invite à vous présenter, Philippe puis Edouard, puis nous évoquerons les sujets de cette médiation dans un second temps. Dans un troisième temps, il vous reviendra de dégager tous deux, avec mon appui, des solutions acceptables pour chacun.

Edouard III : Je suis Edouard III, roi d’Angleterre et prétendant au royaume de France. Je suis le fils d’Isabelle de France, fille du roi Philippe IV le Bel. Mon père, feu Edouard II, était roi d’Angleterre. J’ai à ce jour deux enfants, Edouard et Isabelle.

Philippe VI : Je suis Philippe VI, seul souverain du royaume de France. Je suis le fils aîné de feu Charles de Valois, frère cadet du roi Philippe le Bel. Je suis également cousin de feu le roi Charles IV, mon prédécesseur. J’ai à ce jour trois héritiers.

Notes d’analyse : à ce stade, le médiateur rappelle les règles afin de se poser en garant du cadre du processus de médiation. La validation des règles de la médiation - même de manière non verbale - est importante car elle confirme le choix du médiateur et l’engagement des médiés à suivre ce processus. Par ailleurs, la présentation des médiés - même succincte - peut leur permettre de commencer à entrer en relation : Philippe et Edouard ont tous deux perdu leur père et ont chacun des enfants.

Médiateur : Je vous remercie. Je vous invite désormais à exposer chacun votre tour  les sujets de la médiation. Je vous demanderai, à ce stade, de ne pas vous interrompre et de rester courtois. Vous pourrez ensuite, dans un second temps, échanger sur ce qui a été dit. Philippe, quels sont les points dont vous aimeriez discuter ?

Philippe VI : le sujet est très simple. Édouard conteste ma légitimité en tant que souverain du royaume de France alors qu’il m’avait pourtant rendu hommage en ma qualité de seigneur de Guyenne. Les seigneurs de France m’ont légitimement désigné après la mort sans héritiers de Charles IV.

Médiateur : Les seigneurs de France vous ont désigné roi de France à la mort de Charles IV et Edouard revendique également la couronne c’est bien ça ?

Notes d’analyse : la reformulation, premier outil de la médiation, permet de s’affilier au médié et de s’assurer d’une bonne compréhension. En effet, la communication résultant de trois types de langages (verbal, paraverbal et non verbal), il peut y a voir un décalage entre les mots prononcés par le médié et son message réel. La reformulation permet de clarifier.

Philippe VI : C’est tout à fait ça. Pourtant, comme je l’ai dit, je suis de très haute lignée. J’ai été élevé par la plus haute noblesse française. Je connais parfaitement mon royaume alors qu’Edouard n’y a jamais mis les pieds…

Médiateur : Si je comprends bien, vous êtes de sang royal et vous avez bénéficié d’une excellente éducation. Par ailleurs vous avez toujours vécu en France.

Notes d’analyse : le médiateur s’assure de reformuler positivement les propos des médiés pour limiter les tensions et permettre la continuité du dialogue. Ainsi, il est préférable de relever que Philippe VI a toujours vécu en France plutôt que de souligner qu’Édouard III n’y a jamais vécu…

Philippe VI : C’est vrai, c’est un pays pour lequel je sacrifierai ma vie, sans la moindre hésitation.

Médiateur : Ce sont des mots forts. Qu’est-ce qui fait que c’est si important pour vous ?

Notes d’analyse : par cette question, le médiateur interroge le médié sur ses intérêts, sur ses besoins. Ce type de question permet d’ouvrir le champ de la discussion pour sortir de la boucle de rétroaction : « Je suis le seul roi légitime » « Non c’est moi le seul souverain ».

Philippe VI : Bien sûr. Le seul objectif d’un suzerain, au surplus d’un monarque, est d’assurer la puissance et la postérité de son royaume.

Médiateur : Qu’attendez-vous de cette médiation ? 

Philippe VI : J’attends qu’Edouard reconnaisse que je suis le seul souverain de France.

Notes d’analyse : afin d’éviter de tomber à nouveau dans le piège de la boucle de rétroaction, le médiateur doit toujours veiller à recentrer le médié sur ses besoins par l’utilisation de questions clés.

Médiateur : Cela vous permettrait quoi ?

Philippe VI : Cela me permettrait de diriger mon royaume de manière sereine afin d’assurer la grandeur et la puissance de la France. Ma légitimité est sans cesse remise en question, tantôt par les marchands de Flandre tantôt par le roi d’Angleterre au seul motif que je ne suis pas moi-même le fils d’un roi. C’est inadmissible.

Médiateur : Si je comprends bien, vous avez un besoin de reconnaissance, de légitimité, pour pouvoir diriger le pays du mieux possible et assurer sa prospérité, est-ce bien cela ?

Notes d’analyse : le médiateur veille à toujours valider les attentes pour que le médié se sente compris. Cela participe au processus d’affiliation entre le médiateur et le médié. Par ailleurs, cela permet aux médiés d’identifier clairement les attentes réelles de chacun, lesquelles s’éloignent parfois du sujet initial. Cette approche permet ainsi de requalifier la problématique de départ « le roi d’Angleterre remet en cause ma légitimité » pour atteindre l’objectif suivant « Je souhaite être renforcé dans ma légitimité et redonner son aura à la France ».

Philippe VI : C’est bien cela.

 

Pour les besoins de cette présentation et pour éviter tout redondance, la phase de clarification relative à Edouard ne sera pas évoquée pour étudier directement la phase de confrontation.

b2. Le scénario commenté de la phase de confrontation

Médiateur : Edouard, Philippe, je vous remercie de vous être déjà tant livrés. Après ces premiers échanges, j’aimerais revenir sur des mots que vous avez prononcés Edouard : « Ma suzeraineté sur le royaume de France est une question d’honneur ». Ce sont des mots forts, pourriez-vous développer ?

Edouard : Bien sûr. Toute ma vie j’ai dû me battre pour exercer mes droits légitimes.

Médiateur : Vous avez dû vous battre pour exercer vos droits légitimes…

Notes d’analyse : ce type de reformulation « perroquet » ou « écho » permet une retranscription fidèle et dénuée d’interprétation des propos du médié. Surtout, elle l’invite à approfondir la question.

Edouard : Ce n’est un secret pour personne. Ma mère, Isabelle de France, a chassé mon père du trône d’Angleterre. Son allié, l’usurpateur Roger Mortimer, a ensuite assuré la gérance du royaume jusqu’à ma majorité.

Médiateur : vous me dites que l’allié de votre mère a assuré la gérance du royaume d’Angleterre jusqu’à ce que vous soyez en âge d’assurer vos fonctions royales, c’est bien cela ?

Notes d’analyse : cette reformulation « résumé » et de « clarification » permet notamment au médié de se sentir écouté.

Edouard : C’est cela. Mais la situation ne s’est pas réglée dans la douceur. J’ai dû me battre pour reprendre ma place.

Médiateur : Vous avez dû vous battre pour reprendre votre place.

Edouard : Tout à fait, comme je dois encore me battre pour le royaume de France.

Philippe : Il te faudra plus que tes quelques archers pour conquérir le royaume de France…

Notes d’analyse : si le respect est important entre les médiés, il est normal qu’au stade de la phase de la confrontation les médiés interagissent directement. Ainsi qu’il a été dit le conflit peut en effet libérer les émotions et ouvrir le dialogue entre les médiés. Ainsi, si le médiateur doit naturellement veiller à ce que les échanges ne dégénèrent pas, il doit également veiller à ce que les médiés puissent libérer leurs émotions. Selon le modèle dégagé par Thomas Fiutak – universitaire américain reconnu, praticien et théoricien de la médiation – lors de la phase de confrontation le médiateur doit davantage s’effacer pour laisser interagir les médiés et travailler sur les émotions de chacun, afin de les mettre en relation.

Médiateur :  Edouard, en quoi cela est-il important pour vous ?

Notes d’analyse : la seule écoute permet rarement de dévoiler les enjeux, les raisons cachées d’un comportement donné. Ainsi, certaines questions clés doivent permettre au médiateur de dégager les enjeux cachés du conflit. Dans un conflit, le côté objectif est souvent évident (les faits) mais le côté subjectif reste à découvrir (préoccupations, craintes, valeurs en jeu).

Edouard : …

Médiateur :  (…)

Notes d’analyse : l’utilisation du silence permet au médié d’exprimer et de libérer une émotion ;

Edouard : Je suis le petit-fils du roi Philippe IV le Bel, ce qui fait de moi le Roi de France.

Notes d’analyse : le médiateur veille à conserver une formulation neutre et objective pour éviter d’envenimer le conflit. Ainsi, dans ce type de situation, le médiateur évitera évidemment une formulation « perroquet » de type : « vous êtes le petit-fils du roi Philipe IV le Bel, ce qui fait de vous le Roi de France… ». De ce fait et afin d’éviter le retour d’une boucle de rétroaction il est préférable de rechercher le besoin du médié, via le questionnement.  

Médiateur : Je comprends ce que vous me dîtes mais en quoi est-ce important pour vous de régner sur le royaume de France ?

Edouard : C’est une question de légitimité. Ma mère a affaibli la lignée des « Edouards » en faisant destituer mon père. Je n’ai pas eu mon mot à dire lorsque, enfant, j’ai dû prêter hommage à Philippe pour le duché de Guyenne. Mais ma mère ne cesse de répéter qu’en étant fils de roi, je n’aurais jamais dû prêter hommage au fils d’un comte…

Médiateur : je ressens une certaine tristesse.

Notes d’analyse : faire prendre conscience de ses émotions au médié lui permet de dégager ses besoins. Or la réalisation du besoin ne dépend pas systématiquement de l’autre médié, ce qui permet de trouver « une troisième voie », souvent à l’origine d’une médiation réussie. Le médiateur peut mal analyser une émotion. Si cela ne se produit pas systématiquement, ce n’est pas grave car l’erreur du médiateur poussera le médié à nommer son émotion.

 

Edouard : pas du tout, je suis en colère ! C’est elle qui m’a placé dans la situation dont elle me fait aujourd’hui reproche… C’est de son fait, si je dois me battre pour restaurer ma légitimité.

Médiateur : Philippe, qu’est-ce-que cela vous fait d’entendre cela ?

Notes d’analyse : Le questionnement circulaire facilite l’échange direct entre les médiés. A ce stade, les médiés, dont la parole a été bridée par le médiateur, vont pouvoir se parler directement, ce qui génère souvent un afflux d’émotions, qu’il faut laisser s’exprimer.

Philippe : C’est-à-dire ?

Médiateur : Edouard évoque la nécessité de préserver sa légitimité.

Philippe : Je comprends cela. Que croit-il ? C’est l’apanage de tous les rois. (Se tournant vers Edouard). Quand tu parles de moi comme un simple « fils de comte », que crois-tu que cela me fasse ? Tu affaiblis mon Royaume. 

Edouard : Comme toi, lorsque tu m’obliges à te rendre hommage. Que crois-tu que mes vassaux pensent, lorsque le roi d’Angleterre rend hommage au prétendu roi de France ?

 

Philippe : Cela n’a pas été facile pour toi, mais que crois-tu ? Moi aussi je dois gouverner en tenant compte de mes vassaux et de mes obligations à l’égard du royaume.

 

Notes d’analyse : il est important, en principe, de laisser les médiés purger l’ensemble des sujets en litige afin que des sujets non traités ne viennent pas ensuite « polluer » la phase de recherches de solutions. Pour les besoins de cette pastille cette phase est nécessairement très raccourcie…

 

Médiateur : Si j’ai bien compris, vous recherchez tous les deux le renforcement de votre légitimité, pour le bien de vos royaumes, mais vous n’êtes pas d’accord sur les moyens pour y parvenir, est-ce bien cela ?

 

Notes d’analyse : cette synthèse, qualifiée « d’accord sur le désaccord » doit permettre aux médiés de regagner une certaine sérénité. Le fait d’être d’accord, même sur un désaccord, démontre aux médiés qu’une position commune est possible. Cette étape est parfois nommée « catharsis » ou « point de bascule ». Cela amorce une phase plus collaborative de recherches de solutions.

 

Philippe et Edouard : oui.

 

Philippe : l’objectif d’un roi est d’œuvrer pour la puissance de son royaume.

 

Edouard : (acquiesce).

 

Médiateur : Si vous le souhaitez, je vous propose de vous retrouver, ce soir, pour envisager des pistes de solutions, qui vous permettrait à la fois de préserver votre légitimité, tout en renforçant votre royaume.

 

Edouard : formulé de cette manière, un mariage royal résoudrait bien des problèmes…

 

Philippe : votre proposition est intéressante même si elle ne règle pas la question des frontières…  Il est vrai toutefois que la force combinée de nos deux royaumes ferait de nous un véritable empire à faire pâlir ces coquins de Teutons…

 

Médiateur : Je vous propose de continuer à y réfléchir. Nous nous retrouverons ce soir, pour dégager des idées de solutions. Dans un second temps, nous envisagerons les moyens concrets permettant de mettre effectivement en œuvre les solutions retenues. Je vous remercie grandement de votre implication jusque-là. J’ai le sentiment que cette médiation avance dans le bon sens.

 

Notes d’analyse : contrairement à d’autres formes de règlement amiable des différends, la médiation est un processus structuré qui doit permettre aux médiés – grâce à l’intervention du médiateur – de suffisamment renouer le dialogue pour élaborer eux-mêmes leurs propres solutions. La mise en œuvre technique des solutions envisagées par les médiés peut toutefois évidemment être réalisée en recourant à des « tiers sachants » (avocats, experts…). Le médiateur n’exerce ainsi aucun pouvoir de décision mais cela renforce son impartialité et sa neutralité vis-à-vis de ses clients.

 

 

CONCLUSION :

Le respect de la méthodologie de la médiation doit permettre de maximiser ses chances de succès tout en assurant un cadre protecteur tant pour le médiateur que pour les médiés. Il faut néanmoins avoir conscience que le système n’est pas « fermé ». Dans notre scénario Philippe et Edouard évoluent naturellement dans un environnement, dont il faut nécessairement tenir compte. Les « tiers fantômes » jouent un rôle important lorsque la relation entre deux personnes impacte des personnes extérieures de manière importante. Ainsi, Isabelle de France ou autre Robert III d’Artois, pourraient entre deux séances de médiation convaincre Edouard de l’intérêt d’une guerre. A l’inverse il existe parfois des « tiers facilitateurs » qui, dans l’ombre, aident au succès d’une médiation. C’est pourquoi une approche systémique de la médiation est parfois requise, impliquant d’autres acteurs du litige. 

En tout état de cause, la médiation, quoique répondant à une méthodologie précise, travaille sur ? des « relations humaines ». Il faut donc accepter son caractère nécessairement aléatoire et complexe.

D’autant plus que les médiés – qui disposent de ressources propres – demeurent les principaux acteurs du succès d’une médiation. Le médiateur peut d’ailleurs également préparer les médiés à envisager - dès le début de la médiation - la « meilleure solution de rechange (« MESORE ») afin de limiter le stress lié à un potentiel échec et désinhiber les médiés. Il peut s’agir, notamment, de recourir à un arbitre ou de saisir un Tribunal.

Ainsi, l’avortement d’une tentative de médiation peut évidemment déboucher sur des solutions alternatives de règlement du litige : « Entrez hardiment parmi les Anglais ! Les Anglais ne se défendront pas et seront vaincus et il faudra avoir de bons éperons pour leur courir après ! » [[JEANNE D’ARC (1412-1431), Harangue aux capitaines, Patay, 18 juin 1429.]]

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